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mardi 28 septembre 2010

Violence & Variations I

Je ne suis pas quelqu’un de nature violente. A dire vrai, je suis même plutôt molle. Vous savez, le genre d’amie qui vous dit tout le temps : ah, si seulement j’avais pu l’embrasser… mais tu vois, elle était en train de parler et ça m’intéressait et j’allais pas l’arrêter pour ça, si… ? Ou qui vous parle de cette occasion manquée, il y a deux ans de cela avec dans les yeux l’air vague de la personne qui a raté non seulement une occasion, mais sa vie entière.
Le genre d’amie qui continuera toujours à vous raconter ce qu’elle n’a pas fait, ce qu’elle aurait aimé dire, et de quel vert précisément est la pelouse du voisin ; le genre de cadavre vivant, de conscience immobile, de vaine volonté.

Le genre néanmoins dont la patience vous semble infinie, le calme admirable : vous vous demandez toujours comment ça se fait qu’elle n’a pas encore assassiné la traînée qui lui brise le cœur, virer le connard qui lui pompe son temps, fermer le clapet des types qui l’emmerdent dans la rue… Vous auriez disjoncté depuis belle lurette.

Et vous auriez eu raison : car de cette façon vous avez appris à expier vos colères, à maîtriser vos impulsions agressives. Et elle comment fait-elle au juste ?

Elle regarde, elle contemple, elle imagine…
Ce n’est pas que je n’aimais pas beaucoup cette fille… mais elle semblait si fragile. Elle était plus petite que moi, plus petite que tout le monde. En terminale, mais avec la taille d’une enfant – et cette maigreur. Car elle ne se contentait pas de son mètre cinquante-à-peu-près-cinq, elle devait pesait quarante-sept kilos toute mouillée… C’était purement physique. Oh bien sûr, elle était bien conne, mais ça dans le fond, c’était acceptable, je crois… Au fond de moi, de façon viscérale, je sentais une haine sourde et incontrôlable m’envahir quand elle entrait dans une pièce où j’étais, ou bien lorsqu’elle m’approchait de trop près, ou pire, lorsqu’elle commettait l’impudence d’ouvrir la bouche. Le bruit crispant et cristallin qui en sortait était tout bonnement affreux, et mes pauvres oreilles, mal habituées aux notes aiguës pâtissaient en ces moments plus que mes yeux lorsque je l’apercevais.

Je n’avais rien contre elle, dans les faits, mais qu’est-ce que j’avais envie de la détruire. Je m’imaginais l’attacher à un poteau, serrant ses poignets et ses chevilles d’une corde solide et nouant avec attention ce petit corps remuant. Il fallait laisser le reste libre, tout spécialement le buste qui était le centre de mon intérêt. Moi j’avais en main une batte, ou un pied de biche que je préférais de loin au bout de bois. Le jeu alors était de lui exploser les côtes, une à une. Images fantasmées mais plaisir bien réel. J’entendais le bruit des os craquer sous l’impact du fer : la peau ne pouvait jamais retenir ma violence. C’était le plus jouissif, entendre. J’écoutais avec une attention toute particulière le son précis de l’instant précis où le fer entre mes mains venait buter contre l’os de sa cage thoracique, le moment où il touchait l’os, fêlait l’os, bousillait la côte et s’enfonçait dans la chair molle et bouillie.
Ma drogue favorite étant le crack, comme vous l’avez deviné, sonore et onctueux, rafraichissant mes sens et réveillant mes ardeurs.

Et je frappais encore, côte après côte, avec une patience sans limite, savourant les douze coups de minuit d’un côté, et les douze coups de midi, de l’autre. Vingt-quatre tonalités différentes, vingt-quatre fois le plaisir renouvelé…

Ou bien alors, je m’ennuyais très vite. Je lui défoncer le sternum d’un grand coup, lorsqu’elle était au sol. Sûrement après la raclée de toute à l’heure. Mais je tenais toujours à ce qu’elle soit en vie. Je voulais qu’elle endure la souffrance et à chaque douleur qu’elle subissait, je jubilais de bonheur. Quand je l’imaginais au sol, c’était aussi pour lui éclater le crâne, de la même façon qu’on suggère aux gens de se figurer, lorsqu’ils tiennent une batte, que cette balle sur le tee serait en fait la tête d’une personne qu’ils haïssent profondément.
Ici, plus la peine de forcer son imagination : on avait la tête sous nos yeux, il s’agissait seulement d’asséner, de se déchaîner, de lui fendre l’os sans rétention, de dépasser les lois de la physique. Voyez-vous, quand l’eau est condensée à l’état solide, n’est-ce pas, et qu’elle s’évapore à l’état de gaz, on parle de sublimation… disait mon professeur de chimie. En élève modèle, je me targuais d’appliquer le concept à la moelle osseuse de ma chère amie. Je n’aspirais qu’à sublimer ce solide en vapeur, en poussière, en cendres.

Pleine de bon sentiments chrétiens et de justice : quel égoïsme, quelle prétention, quelle hauteur, que de se vouloir être l’unique à naître des cendres et à y remonter enfin, et dans cette déchéance n’emporter personne avec soi.
Oh non, je suis bien trop généreuse pour crever dans mon coin.

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